L'OCHRES exerce une mission d'observation des problèmes économiques et sociaux, particulièrement de ceux qui relèvent des interactions entre l'entreprise et la société.
Philippe d’Iribarne a souhaité que l’OCHRES débatte de la question de la neutralité laïque de l’espace public, car il la sait clivante au sein de l’église catholique.
Je m’exprime donc ici à titre uniquement personnel, en espérant que d’autres membres de l’OCHRES feront de même.
La question est celle de l’expression publique de la foi religieuse et surtout musulmane, en France. En particulier, la neutralité stricte de l’espace public contribuerait elle à la libération des femmes musulmanes face à la pression communautaire ?
Les évêques de France ne cessent de répéter à leurs fidèles que si l’Etat et ses représentants sont laïcs, la société ne l’est pas. Si nous vivons une laïcité apaisée, c’est, dit Marcel Gauchet, que les fidèles catholiques ont accepté que la religion se cantonne au domaine privé. Cette privatisation de la religion a engendré l’absence de toute référence à Dieu dans la vie publique et un « catholicisme zombie » (désincarné) comme le nomment Hervé Le Bras et Emmanuel Todd.
Mais il est impossible de cantonner la religion musulmane dans le domaine privé, car elle est essentiellement une pratique. Le « croyant non pratiquant » y est une catégorie déclarée inconcevable et la pratique ne se limite pas au culte, mais, par les cinq prières quotidiennes, le vêtement, la nourriture, elle ritualise la vie collective.
Face à une religion dans laquelle foi et pratique ne se distinguent pas, la neutralisation de l’espace public, associée au rejet du communautarisme, ne peut elle être ressentie comme persécutrice et provoquer une réaction de « radicalisation » ?
La déclaration musulmane des droits de l’homme viole la déclaration universelle des droits de l’homme en ne reconnaissant pas la liberté de conscience non plus que l’égalité homme/femme. Les laïcistes violent également la déclaration universelle en ne respectant pas le droit public d’expression religieuse. Ce droit est en France limité par le délit de prosélytisme qui consiste à importuner autrui. Mais, paradoxalement, il est soutenu un droit de blasphème alors que le blasphème est bien plus agressif que le prosélytisme, puisqu’il consiste non à exprimer ses convictions mais à attaquer celles d’autrui. Les Lumières, qui ont lutté contre l’intolérance, sont ici singulièrement trahies.
Prosélytisme et blasphème me paraissent être tous deux des abus de droit.
On peut alors penser que l’espace public ne doit ni être fermé ni totalement ouvert, mais entr’ouvert à l’expression des Fois et de l’incroyance. L’ouverture me paraît devoir être plus ou moins large, suivant le type d’expression concerné.
La question a bien progressé en ce qui concerne l’espace de l’entreprise privée, et cela peut être un exemple pour l’espace public.
Après un an de consultations et débats la section du travail du Conseil Economique Social et Environnemental a en effet produit un rapport qui a été approuvé par toutes les composantes du CESE, à l’exception de FO qui s’est abstenue. Le principe est la liberté d’expression dans la limite de la réalisation prioritaire du travail Voici les recommandations pratiques du rapport :
Sont tolérés : Les menus variés, dont le végétarien
Le voile non intégral, sauf si non toléré par certains clients.
Les plages de deux heures pour pratiquer la prière individuelle isolée.
Le « congé liturgique » si demandé sans motif avec préavis.
Sont proscrits : Le refus d’obéir à une femme, de transporter du porc…
L’attribution d’une salle de prière, sauf équipes musulmanes sur des
chantiers isolés.
La pratique du ramadan lors de travaux dangereux, car on peut le reporter à un jour ultérieur.
Ce type de compromis pourrait il être retenu hors entreprise ?
Une « laïcité ouverte », du type de celle soutenue par Sarkozy dans « le discours du Latran », implique que toutes les convictions puissent s’exprimer dans l’espace public, sous réserve de ne pas dégénérer en conflits. Les « deux France », chrétienne et laïque, ont aujourd’hui en commun le respect des droits de l’homme.
Elles peuvent donc s’unir pour que l’espace public respecte tous les droits de l’homme.
Pour cela, l’espace public doit être ouvert à l’expression des convictions mais aussi défendu contre toute appropriation exclusive.
Dans cet esprit, comment interdire le voile lorsqu’il maintient le visage reconnaissable, alors qu’il est parfois imposé par l’entourage mais aussi librement choisi par des croyantes qui invoquent le caractère privé du choix du vêtement ? La loi française interdit le port dans les lieux publics d’un voile couvrant le visage. Un tel voile est une présomption de salafisme et la loi doit être appliquée. Mais il ne me parait pas nécessaire d’aller au-delà. Une police des mœurs qui interdirait tout voile protègerait peut être certaines musulmanes mais en radicaliserait beaucoup d’autres.
Pourquoi aussi exiger la mixité de toutes les plages horaires des piscines ?
Pourquoi ne pas étendre la loi sur l’antisémitisme à l’Islamophobie et à la Christianophobie ?
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Mais dans l’autre sens, je crois qu’il faut assurer la protection des victimes de fatwas et que les chrétiens accueillent la vague de demandes de baptêmes des nouveaux migrants.
Il faut accueillir et soutenir les musulmans réformateurs, même si leur audience est faible à court terme.
IL faut soutenir les mouvements et les actions de libération des femmes musulmanes.
Ces mouvements assurent leur alphabétisation, ils les sortent de l’enfermement en leur offrant des travaux et des visites à l’extérieur ; ils requièrent des sanctions juridiques si elles sont battues etc… Il faudrait aussi arrêter de fermer les yeux sur les fausses identités permettant la polygamie en France. Mais le fait d’avoir honoré les deux femmes d’un prestigieux président de la République lors de ses obsèques n’a t il pas découragé l’action en ce sens ?
Le résultat du référendum suisse d’interdiction de construction de minarets a été condamné pour discrimination par le conseil de l’Europe et par l’ONU. (Les évêques suisses avaient recommandé de voter l’autorisation)
En France, il y aurait 3 millions de musulmans à la prière du vendredi pour 4 millions de catholiques à la messe dominicale.
Il y aurait déjà 64 minarets en France dont certains avec appel public à la prière par des muezzins : Le Puy en Velay, Nanterre, Bordeaux… Ces appels se sont généralisés en Allemagne et en Suède, sous influence turque.
La prière du muezzin, 5 fois par jour, est la proclamation d’un acte de foi en Dieu et en son envoyé Mahomet, que l’on prie Dieu de ressusciter. Un verset appelle à la joie.
Acceptons nous cette expression publique d’une « hérésie chrétienne » ?
Les partisans de l’autorisation invoquent le droit d’expression religieuse, ceux de l’interdiction le fait que la religion musulmane dénie certains droits de l’Homme.
Faut il défendre les droits de l’Homme en violant l’un d’entre eux ?
Une loi nationale pourrait elle faire taire les muezzins et maintenir les cloches et les cantiques des processions ? Cela impliquerait de ne pas traiter les deux religions sur un pied d’égalité, par exemple à cause des droits de l’Homme. Mais accepterait on les conséquences internationales ?
J’avoue ma grande perplexité et combien je souhaite vivement connaître le sentiment des membres de l’OCHRES sur cette question…
Jean-Paul Lannegrace