L'OCHRES exerce une mission d'observation des problèmes économiques et sociaux, particulièrement de ceux qui relèvent des interactions entre l'entreprise et la société.
Selon diverses estimations, l'islam regrouperait aujourd'hui 1,2 milliard de fidèles, soit 20% de la population terrestre. Ce nombre est appelé à augmenter sous le simple effet mécanique d'une démographie favorable.
Pour autant, le monde musulman est loin d'être monolithique et on doit tenir compte de cette diversité pour s'éviter de porter un jugement sans nuance.
Une grande diversité ethnique et culturelle
Hégémoniques à la période de l'âge d'or, les Arabes sont devenus aujourd'hui minoritaires dans le monde musulman (moins de 20%) de même que leur langue. Les gros bataillons sont asiatiques, Indonésie et Pakistan notamment qui sont devenus les pays musulmans les plus importants de la planète. Dans de nombreux pays, la culture locale reste très prégnante conduisant à des pratiques religieuses syncrétiques (dans l'islam africain par exemple) contre lesquelles s'élèvent les prédicateurs fondamentalistes.
Persistance des clivages traditionnels
La division entre sunnites et chïtes, qui remonte au 7ème siècle et a été le plus souvent conflictuelle, existe toujours. L'opposition entre les deux branches s'est même aggravée comme on peut le voir en Irak, mais aussi au Liban, au Pakistan, en Afghanistan, etc.
Au sein du sunnisme, les quatre écoles juridiques (de la plus libérale à la plus rigoriste : hannéfisme, chaféisme, malékisme, hanbalisme) se partagent toujours l'espace social, voire s'opposent sur les nouvelles zones frontières.
Au sein du chïsme, en sus des duodécimains majoritaires, on rencontre de nombreuses autres dénominations (anciennes et récentes), certaines tolérées, d'autres pourchassées (comme les Bahaï en Iran).
Emergence de nouveaux courants
Il s'agit d'une conséquence de la déstabilisation induite par le choc de la modernité occidentale sur les sociétés musulmanes. Depuis le 19ème siècle, deux types de réponse n'ont cessé de s'affronter : ouverture à cette modernité, fermeture identitaire.
Dans un premier temps, la ligne modernisatrice (sous ses variantes occidentales ou socialistes) a paru triompher. Mais épuisement progressif de cette réponse qui n'a réussi que très partiellement à transformer la société islamique.
On assiste alors à un retour en force de la réponse identitaire sous deux formes :
- reprise du discours fondamentaliste traditionnel, rémanent depuis le 10èmesiècle (Ecole asharite dominante parmi les ulémas).
- invention d'une forme modernisée de fondamentalisme, par mariage de celui-ci avec l'idéologie révolutionnaire. C'est l'islamisme dont la forme extrême sera le terrorisme.
Ces courants radicaux ont aujourd'hui le vent en poupe, notamment auprès de la jeunesse.
On voit enfin percer un nouveau courant modernisateur (Les "nouveaux penseurs de l'islam" selon le titre d’un livre de l’anthropologue Rachid Benzine) qui recherche une véritable ouverture de l'islam à la pensée moderne. Porté par quelques intellectuels de talent, mais très minoritaire et surtout présent en Occident, ce courant constitue aujourd'hui le seul signe d'espoir dans un paysage par ailleurs désolant.
L’ensemble de la situation actuelle de l’islam est reprise dans le tableau suivant.
LES PRINCIPAUX COURANTS DANS L’ISLAM CONTEMPORAIN
1 – Le courant "populaire" ou islam des familles
Sans doute majoritaire dans beaucoup de pays musulmans et parmi les populations immigrées d'Occident. De facture principalement sociologique et familiale, il est attaché à des pratiques traditionnelles relativement extérieures (jeûne du ramadan par exemple). Ses fidèles se montrent pacifiques et peu prosélytes.
MAIS sa faible consistance intellectuelle le fragilise dans sa rencontre de la modernité et le rend par contrecoup vulnérable aux appels des mouvements radicaux. De ce fait, il est le "réservoir" dans lequel viennent pêcher les prédicateurs islamistes.
2 – Le courant laïque
Dans le but de retrouver le rayonnement et la puissance qui furent celles de la civilisation islamique voici plusieurs siècles, les tenants de ce courant ont essayé de moderniser l'islam au cours de la période allant de la fin du 19èmesiècle à la moitié du 20ème. Pour cela, ils se sont proposés de copier l'Occident en lui empruntant ses techniques, son organisation et ses lois. Cette imitation a donné lieu à deux types de réponses:
Inspiration recherchée dans le modèle libéral occidental
Kémalisme en Turquie. Régime fondé en 1923 par Mustapha Kémal. C'est un nationalisme républicain, étatiste, laïque et reposant sur l'armée. La religion y est sévèrement contrôlée par l'Etat. Mais dès qu'à la fin du 20ème siècle la contrainte étatique s'est desserrée, réapparition de partis religieux réclamant la ré-islamisation de la société.
Bourguibisme en Tunisie. Régime copié du système français, instauré par Bourguiba dans les années 1960 au moment de l'indépendance. La législation y est sans doute la plus favorable aux femmes dans tout le monde musulman. Mais dérive autoritaire du régime pour contenir les partisans de l'islam radical.
Inspiration recherchée dans le modèle socialiste des pays communistes
Nassérisme en Egypte. Nationaliste, populiste et autoritaire.
- Baas en Syrie et Irak. Fondé sur des partis d’inspiration socialiste, laïque et pro-arabe.
- FLN en Algérie. Nationaliste, autoritaire et reposant sur l'armée.
Khadafisme en Lybie. Recherche d’une synthèse entre islam et socialisme. Arabisme très anti-occidental.
L'échec économique et social de ces tentatives pour marier socialisme, arabisme et islam a ouvert la voie aux courants radicaux.
Au final, que ce soit sous les variantes libérale ou socialiste, les résultats n'ont pas été probants. C'est pourquoi ce courant laïque se trouve aujourd'hui en perte de vitesse.
3 – Les courants radicaux
Ils sont en plein développement, aussi bien dans les pays de tradition islamique que parmi les musulmans vivant en Occident. Ils prônent le retour aux origines et à la pureté de l’islam, seule réponse pour eux aux malheurs du monde musulman (L'islam est la solution).
Les courants fondamentalistes
Ils prolongent des écoles de pensée anciennes attachées à la lecture traditionaliste (de type asharite) du Coran. Leur objectif est de ramener les individus à la pratique de l'islam (ré-islamisation par la base), puis d'appliquer la charia dans les territoires à majorité musulmane :
- le wahhabisme: Issu du hanbalisme, puis fondé sur l'alliance en Arabie Saoudite, au 18ème siècle, d'un réformateur religieux (Mohammed Abd al-Wahhab) avec la dynastie des Saoud, il est rigoriste et missionnaire. Grâce à l'argent du pétrole, il finance la construction de mosquées dans le monde entier.
- le Tablighi Jama’at: fondé en 1927 en Inde par Muhammad Ilyas, ouléma de formation ultra-orthodoxe. D’inspiration piétiste, il se caractérise par un prosélytisme ardent ayant pour conséquence d'enfermer les adeptes dans des communauté à caractéristique sectaire. Mais en principe, il ne prône pas l'expansion de l'islam par les armes.
Les courants islamistes
Par "islamisme", on désigne l'alliance du fondamentalisme (traditionnel) avec une idéologie de type révolutionnaire. D'une certaine manière, il s'agit donc d'une forme modernisée d'islam. L'islamisme s'affiche conquérant et ne répugne pas d'en appeler au jihâd guerrier. Il vise l'instauration d'un ordre islamique, à la fois religieux et politique, d'abord dans les pays de tradition musulmane puis dans le monde entier.
Des moins extrémistes aux plus enragés, on peut distinguer :
- les Frères musulmans fondés en Egypte en 1929 par Hassan al Banna (1906-1949), puis inspirés par Sayyed Qtub (1906-1966) exécuté par Nasser. Ils prônent le retour à la société islamique des origines, supposée idéale et rejettent les valeurs d'un Occident jugé corrompu. En France, l'UOIF s'inscrit dans cette mouvance. Quelques citations :
"L'islam est idéologie et foi, patrie et nationalité, religion et Etat, esprit et action, livre et épée" (Hasan al-Banna).
"La vraie philosophie islamique, il ne faut pas la chercher dans les écrits d'Avicenne, Averroës, al-Farabi et d'autres appelés "les philosophes de l'islam", car leur philosophie n'est autre que le reflet de la philosophie grecque, étrangère à l'esprit de l'islam" (Sayyed Qtub).
- le Jamât’at-i Islami fondé en 1941 en Inde (dans le Pakistan actuel) par Abul Maudûdi (1903-1979), journaliste disposant d’une double culture islamique et britannique. Prône la constitution d’un Etat islamique fondé sur la chari’a. Très prosélyte, il n’écarte pas le recours à la guerre pour répandre l'islam. "Notre seul guide dans notre conduite doit être le service de l'islam au regard duquel toutes nos considérations personnelles doivent s'incliner. Le Jihâd est une partie de cette défense de l'islam!…Dans le langage de la charia, ce mot est utilisé plus particulièrement pour la guerre qui est déclarée au nom d'Allah contre les oppresseurs et les ennemis de l'islam. Ce suprême sacrifice de la vie incombe à tous les musulmans…Le Jihâd est un devoir primordial, au même titre que les prières quotidiennes ou que le jeûne" (Maudoudi, Comprendre l'islam, p.140)
Très influent parmi les musulmans de Grande Bretagne, le Jamât’at-i Islami est à l’origine de l’affaire Rushdie.
- le Khomeinisme en Iran. La variante théocratique du chiisme. Le pouvoir suprême appartient à un religieux (le Guide de la révolution islamique). Condamnation de l'Occident et de ses valeurs. Mais la société civile iranienne supporte de plus en plus mal le joug des mollahs.
- les Talibans d'Afghanistan. Régime théocratique, obscurantiste et ultra-rigoriste détruit par l'expédition occidentale de 2001. Mais les talibans relèvent la tête et recourent aux attentats.
le salafisme (de salafi qui désigne les "pieux anciens") prône l’arabisme et le retour à l’époque glorieuse de l’islam par le jihâd. A l'origine des GIA algériens et autres mouvements.
le terrorisme islamiste, type Hamas palestinien, Hezbollah libanais ou Al Quaïdamondial. Il s'agit de la dérive la plus extrême de l'islamisme avec le recours systématique aux kamikazes.
4 – Le courant "moderniste"
Minoritaire et présent surtout en Occident. Non reconnu par les oulémas dans les pays musulmans (Université Al Azar par exemple) et considéré même comme apostat.
Il s'agit d'un mouvement d’intellectuels d'origine musulmane, occidentalisés et familiers de la pensée critique. Sous différentes formes, ils prônent la réouverture de l’ijtihad, c’est à dire la ré-interprétation du message coranique à la lumière des connaissances du monde moderne. Parmi eux :
- En Iran, le théologien Abdolkarim Soroush. A dû s'exiler aux USA pour sauver sa vie.
- Au Soudan, le théologien Mahmûd Taha, exécuté en 1985 à Karthoum pour apostasie.
- En Egypte, le linguiste Nasr Abou-Zeid. Jugé apostat, il a dû s'exiler aux Pays-Bas pour ne pas être divorcé de force.
- En Tunisie, le philosophe Abdelwahab Meddeb.
- En France, le professeur Mohammed Arkoun, l'anthropologue Malek Chebel, l'ancien mufti de Marseille Soheib Bencheik, le chercheur en sciences religieuses Rachid Benzine, Mais ces penseurs ont peu d'influence sur les jeunes musulmans français, beaucoup plus sensibles au discours fondamentaliste de l'UOIF.
Gérard Donnadieu